Bonlieu : abbaye cistercienne

En 1998 a été célébré le 900e anniversaire de la création de l’ordre des cisterciens. Bonlieu, dans notre commune, était une abbaye cistercienne. Que savons nous de ses origines, de son influence sur la paroisse et ses environs ?
Étude réalisée par Colette Pinet et Jean-Pierre Le Gall

Article mis en ligne le 3 février 2018

par Claire Gilleron

En 1998 a été célébré le 900e anniversaire de la création de l’ordre des cisterciens, par Robert de Molesme. Bonlieu, dans notre commune, était une abbaye cistercienne. Que savons nous de ses origines, de son influence sur la paroisse et ses environs ?

Contexte historique

Dans le contexte politique la Haute Marche dont Bonlieu est partie intégrante, forme à partir de 944 un comté, vassal de l’Aquitaine et qui passa en 1199 à la famille des Lusignan vassaux des Plantagenêt. Depuis le mariage en 1152 d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, le pays resta anglo-angevin jusqu’à la confiscation du comté en 1309 par Philippe IV le Bel, ri de France.

Dans le contexte religieux, on assiste à une grande expansion du christianisme par le développement de l’âge des monastères aux XIe et XIIe siècle favorisé par l’organisation féodale de la société, ensuite par l’expansion de l’âge des cathédrales avec l’apogée de la civilisation médiévale au XIIIe et début XIVe siècle.

Création de Cîteaux

En 910, Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, fonde en Bourgogne Cluny pour des moines bénédictins sous la direction de l’abbé Brénon. Par les donations des rois de France et d’Angleterre, des princes et seigneurs, Cluny acquiert un important et riche patrimoine. En 1075, par réaction à ce luxe, l’abbé Robert qui sera plus tard canonisé, moine bénédictin qui vivait reclus près de Longres (Haute-Marne), crée l’abbaye de Molesmes ( côte-d’oz) avec quelques disciples sous la règle de Saint-Benoît. Cette règle prescrivait formellement la charité, la pauvreté, le travail manuel. Mais Molesmes reçoit à son tour des dons et les mœurs se relâchent. Aussi l’abbé Robert avec sept moines de Molesmes s’isole à Citeaux ( près de Dijon, Côte- d’Or). Il fonde le nouveau monastère le 21 mars 1098. Robert retourne à Molesmes en 1099 mais son œuvre se perpétue avec Albéric, Etienne Harding et Bernard de Clairvaux. Très vite les effectifs de l’ordre augmentent. Les moines créent des abbayes-filles entre autres Pontigny en 1114 dans le diocèse d’Auxerre. Entre 1150 et 1250, il y eu création ou regroupement de 651 abbayes.

La paroisse de Peyrat

Le bourg de Peyrat était probablement installé depuis 994 à son emplacement actuel. L’église fut construite aux alentours de 1100. Le château du Chiroux existait, signalé en 1154 dans le cartulaire de Bonlieu. Le château de la Vaureille était peut-être construit mais pas dans sa forme actuelle. Jean V de St Avit, abbé de Bonlieu, ne se fera construire le château du Mazeau qu’en 1560.

Création de Bonlieu

En 1119 Amélius de Chambon, seigneur de Chambon qui eut pour apanage la terre de St Julien (St Julien-le-Châtel), fit don du mas de Mazerolles à Géraud de Sales, clerc ermite, fondateur de l’ermitage de Dalon (Dordogne) en 1114. Géraud de Sales meurt en 1120. La donation est confirmée à Roger, premier abbé de Dalon qui venait d’être érigé en abbaye et qui succéda à Géraud de Sales. Pierre de St Julien, beau-frère d’Amélius de Chambon, moine à Dalon est choisi pour fonder une abbaye à Mazerolles. Il en sera le premier abbé en 1121.

En 1162, l’abbaye de Dalon et ses filles dont Bonlieu est l’une d’elles passe à l’ordre cistercien dans la filiation de l’abbaye de Pontigny. Bonlieu est alors abbaye cistercienne puisque fille de Dalon, petite-fille de Pontigny, arrière-petite-fille de Cîteaux.

Construction de l’abbaye

Dès leur arrivée sur les lieux, les moines commencent à construire. Tout d’abord ils détournent le cours de la Tardes afin d’aménager une terrasse sur laquelle seront implantés les bâtiments disposés suivant le plan classique des abbayes cisterciennes : au midi l’église, à l’est l’aile des moines, à l’ouest l’aile des convers, au nord l’aile du réfectoire, au centre le cloître. Le cartulaire conservé de l’abbaye note que la première construction fut l’église commencée par le chœur dont l’autel sera consacré en 1141 par Gérald-Hector du Cher, évêque de Limoges. Elle sera achevée sous Jean de Comborn,,abbé de Bonlieu de 1174 à 1195 et de nouveau consacrée le 29 septembre 1232 par l’évêque de Limoges Guy du Clusel. Qu’en reste t-il aujourd’hui une partie de l’abside et le transept nord ; encore celui-ci diminué de moitié de sa longueur. Des autres bâtiments primitifs il ne reste rien et ceux qui subsistent datent du XVIIe siècle, sauf la tour, fortification édifiée sur les deux premières travées de la nef en 1417.

Sur la Tardes le radier est construit pour alimenter le moulin et l’anguillère. En même temps les moines défrichent les terres et les mettent en valeur.

Création du patrimoine

Les dons affluent de toutes origines : les comtes de la Marche, de Bourgogne et d’Auvergne, le vicomte d’Aubusson, les seigneurs de St Julien, Chambon, St Domet, St Priest, Gouzon, Le Chauchet, St Loup, Le puy-Malsignat, Verneiges, Viersat, Nouhant, Lépaud ; de même ceux de propriétaires terriens ou des plus humbles… Ils sont faits en maintes occasions : départ en croisade, pèlerinage à St Jacques de Compostelle par exemple, pour des guérisons ou faire dire des messes, des prières,…

A la fin du XIIe s, Bonlieu est la plus riche des abbayes cisterciennes de la Haute-Marche : Aubignac, Le Palais, Aubepierre et Prébenoît.

C’est ainsi que naissent les granges dont la première a été le domaine de la Porte ( son nom même veut dire : à la porte de l’abbaye). Situées en Marche, Combraille, Berry et Bourbonnais, les treize granges du patrimoine sont d’importance inégale. Leur répartition est la suivante :

En marche, elles sont au nombre de sept : La Porte ( Bonlieu), La Chaudure ( Champagnat), La Chassagne (Issoudun), Neurolles (St Chabrais), Les Barres (St Loup), Grosmont (Ajain) et Villechenille ( Glénic).

En Combraille, elles sont au nombre de trois : la Villatte et Montmoreau ( St Priest), Modard (Nouhant).

En Berry, une grange : Le Bougnat (St Marien)

En Bourbonnais : deux granges : Aubeterre et Croze (Domérat).

Parmi ses biens fonciers la communauté possédait des parcelles de bois qui outre ceux autour de l’abbaye, le bois Faladeau (au XVIIIe siècle il portait le nom de bois de Bonnettes) et d’autres hors de la paroisse, elle avait reçu en 1180 du comte de la Marche la forêt de Chénérailles.

Administration du domaine

Pour gérer un tel domaine il fallait une bonne organisation. L’administration supérieure du domaine et la comptabilité générale n’étaient pas confiées entre les mains de ceux qui cultivaient mais entre celles d’un moine. La direction d’une grange était assurée par un frère convers.

L’administrateur était le célérier, moine qui dans chaque couvent était investi, sous l’autorité directe de l’abbé de la gestion générale des intérêts temporels. A Bonlieu il y avait un célérier majeur secondé par un célérier moyen. La direction de chaque établissement agricole était confié à un frère convers et non à un moine.

Les convers

Les convers étaient des hommes à l’instruction insuffisante qui ne pouvaient ou ne voulaient pas être moine. La plupart sont des paysans des environs. Ils remplissaient diverses fonctions relatives à tout leur corps de métier tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’abbaye. Si les convers se trouvaient en grand nombre ils étaient dirigés par un maître. Si les moines de chœur s’adonnent essentiellement aux exercices spirituels, il ne pouvait en être de même des convers de part leur situation d’ouvriers, mais ils s’obligeaient à certaines règles de la liturgie.

Moines et convers portaient une tunique et par-dessus ils avaient une chape de laine, sorte de robe. Pour aller aux champs, ils se couvraient les épaules et la poitrine avec le capuce. Les frères convers étaient chaussés de bas et de souliers et dans certaines circonstances de bottes.

L’essor démographique que connaît le XIIe siècle favorisa le recrutement des convers. Le ralentissement de la démographie au siècle suivant, fit que les convers devinrent moins nombreux et obligea l’abbaye à confier leurs granges à des fermiers séculiers et à séculiers et à employer une main-d’œuvre laïque, au début des ouvriers salariés, temporaires puis progressivement permanents par l’affermage et l’accensement.

Exploitation du domaine

Les moines avaient le droits d’exploiter les forêts pour le bois de chauffage et le bois d’œuvre sous certaines conditions.

Ils ont mis en valeur les terres qu’ils ont eu en donations. Ils en ont amélioré le rendement par la rotation des culture et par amendement organique. Les terres étaient cultivées en céréales panifiables : le seigle, l’avoine, le froment. Le seigle était le blé par excellence, l’annona, l’avoine était très répandu et le froment était récolté sur les terres les plus riches. D’autres céréales comme la marcesche ou orge de mars, le millet et la roue d’Auvergne sont signalées dans le cartulaire dès 1204. Notons également la culture de la vigne à Aubeterre près de Montluçon.

Les moines ont apporté le plus grand soin à l’élevage des troupeaux : bœufs, vaches, moutons, porcs.

Si les cisterciens n’ont rien inventé en matière agricole ils apparaissent cependant comme les meilleurs agronomes de leur époque.

L’aumône

De toutes ces observations il découle que les ressources de l’abbaye étaient très importantes et dépassaient leur besoins. Si les surplus sont commercialisés, ils n’en distribuaient pas moins une partie de leurs récoltes, de seigle principalement, en aumônes. A la porte de l’abbaye un portier distribuait le pain et le seigle aux passants. La charité chez les cisterciens se donnait de plusieurs façons : hospitalité offerte aux étrangers, aumônes aux pauvres et assistance en cas de maladie. A Bonlieu la maison des hôtes était située sur la rive de l’étang qu’elle dominait à coté du moulin, de même l’infirmerie.

Des aumônes continuelles étaient distribuées régulièrement en cas de famines. Entre 1156 et 1278, huit famines ont sévi dans la région. Peyrat a vu ses misères atténuées grâce aux aumônes de l’abbaye.

L’adversité

L’existence de l’abbaye bien que faite de prières et de travail ne s’est pas déroulée sans dommages dans les périodes troubles de notre histoire :

En 1171 l’expédition de Hugues de Chambon, fils d’Amélius de Chambon contre l’abbaye. Capitaine du jeune roi d’Angleterre Henry Plantegenêt, il rentrait de croisade et s’estima lésé par les dons que son père fit à l’abbaye. Il saccage Bonlieu avec ses mercenaires.

Pendant la guerre de Cent Ans les anglais sont venus piller Bonlieu. Les moines se sont réfugiés à Aubeterre dans le Bourbonnais par deux fois, sous la protection de Louis duc du Bourbonnais en 1331 et 1357.

Pour se protéger de toute incursion, l’abbé Roger de St Avit fait construire en 1417 une tour de défense sur les deux premières travées de la nef. Mais les seigneurs de St Julien prennent ombrage de cette construction et voulurent exercer leur droit de justice. Il faudra attendre l’année 1439 pour que Bernard d’Armagnac, comte de la Marche, légalise la construction de défense par lettre donnée à Tours le 18 novembre de cette année-là.

En 1631 l’abbaye fut pillée par les huguenots qui emportèrent les papiers, l’argenterie, les joyaux, même la sainte custode et foulèrent au pied le Saint Sacrement. Les moines durent prendre la fuite«  pour empescher le péril de leurs personnes ».
L’abbaye eut encore à supporter d’importantes dépenses pour le paiement des taxes ecclésiastiques nécessitées par les guerres contre les protestants. N’ayant pas de fonds disponibles ils durent vendre ou laisser vendre leurs propriétés à partir du XVIe siècle.

Le déclin

Si l’épidémie de peste noire au XIVe siècle fut une calamité pour la France qui vit périr près du tiers de sa population et très probablement décima la communauté religieuse de Bonlieu, une autre calamité plus insidieuse celle-là fut la commende puisqu’elle commença à sévir dès le XIIIe siècle. La commende est une méthode de gestion concédée dans l’intérêt du commendataire et non plus dans celui de l’Eglise. L’abbatiat est alors offert à un clerc ou à un laïc qui en percevait une partie des revenus. A ces deux calamités s’en ajouta une troisième, les guerres de religion au XVIe siècle Peste, commende, guerre religieuse vont marquer le déclin de l’ordre.

Le premier abbé de Bonlieu à bénéficier de la commende sera Roger de St Avit (1403-1438).

Les abbés de Bonlieu

Ces abbés de Bonlieu étaient issus de familles seigneuriales dont les principales furent : les de St Avit de Tardes qui ont fourni six abbés pendant 172 ans (1403-1572), les La Roche-Aymon, les La Saigne-St Georges.

Quarante cinq abbés se sont succédès à Bonlieu. Le premier fut, rappelons le, Pierre I de St Julien en 1121 et le dernier François de Chabannes de Richemont nomme en 1787, déporté pour refus de serment à la Constitution civile du clergé et qui mourut en 1794 sur rade de l’ile d’Aix près Rochefort.

En dépit de ses heurs et malheurs l’abbaye de Bonlieu n’en a pas moins continué à faire l’aumône jusqu’à la Révolution. En 1789 il ne restait que trois moines : le prieur Mauger et les moines Lescourioux et Cozé. Ils ont été expulsés et l’abbaye fut vendue comme bien national en 1790 à la famille Picon.